Belle maman toute gaîte de ne plus sentir la transpiration appuya à mort sur le champignon, elle commençait à se lasser du tacot. L’autre abruti gisait toujours dans son sac à patates à compter les occasions qu’il loupait de se branler. Ils roulèrent peinard jusqu’à la nuit venue. Belle maman ricana en songeant aux tremblements nerveux qui devaient parcourir le corps de Françouais du fait du manque d’alcool. Peut-être que cette nouvelle épreuve lui ferait perdre cette habitude de picoler à longueur de journée. Il était toujours permis de croire aux miracles.
Le camion stoppa net à la nuit tombée et belle maman largua un gros pet tout en s’étirant. L’aire de repos paraissait déserte et elle enragea de savoir qu’elle ne se ferait pas tringler cette nuit. Elle laissa l’autre con dans son sac, il ne bougeait plus mais autre chose attira son attention : le moteur dégageait une étrange fumée. Elle ouvrit le capot ne sachant pas ensuite que faire hormis contempler les volutes de fumée. Tout doucement mais sûrement, une puanteur à base de plastique brûlé envahit l’aire puis la fumée se dissipa.
‘Tain il n’y avait pas un chat dans ce bled, elle serait donc contrainte de boire l’apéro toute seule à la poivrarde. Elle se siffla cul sec un restant de gratte cul car elle avait besoin d’un bon remontant pour affronter seule les fantômes et autres spécialités nocturnes.
Elle n’avait rien à becqueter, la soirée serait sinistre, elle devrait roupiller dans le camion, se réchauffer toute seule avec de beaux souvenirs et se contenter d’entendre l’autre con ronfler. Tout en soupirant elle regarda cette aire sinistre déserte. Ah elle était loin cette superbe aire à proximité de Saint Saturnin les Bains, spécialement réservée aux naturistes. Il était même question d’en ouvrir d’autres tant celle-ci saturait en terme de fréquentation. Les gens faisaient de terribles détours pour avoir le privilège de s’y arrêter.
Belle maman qui avait l’estomac dans les talons avait toujours sa chatte à sa place et commença doucement à se caresser. Elle c’était d’ailleurs tellement caressée à cet endroit que lorsque des trouduculologues, quelques centaines d’années plus tard, découvriraient sa tombe, ils constateraient que ses os du bassin étaient plus usés que les autres. Mais la science qui aurait évoluée à de grandes enjambées à cette époque, aurait vite fait d’itérer théories sur théories par rapport à cet étrange cas.
Elle refit visuellement le tour du coin et c’était toujours aussi sinistre. Trois chiens se disputaient des restes de tête de porc jetés quelques heures auparavant certainement par des routiers Portugais. Un chat pelé qui était abandonné depuis des années, essaya de lui faire du charme mais sans aucun succès. Elle alla donc s’improviser un pucier de fortune au fin fond du camion, Françouais dans son sac à patates lui servirait d’oreiller. Lorsqu’elle eut installé son plumard composé de cartonnages, elle fut attirée par des lueurs de phares. Son cœur fit un bond dans sa poitrine lorsqu’elle comprit qu’elle ne serait plus toute seule.
Au fil des minutes, une chenille composée de dizaines de bahuts rappliqua paisiblement. Des musclors aux tatouages gras et aux gros bides conduisaient fièrement leurs tas de ferraille et se garaient les uns à côté des autres. Tout le monde se retrouvait ensuite sur le bitume à se serrer la pince, s’embrasser ou se congratuler.
Belle maman qui n’osait pas s’allonger, regardait par un carreau sale cet étrange rite. Les glaudes semblaient pacifiques et prêts à l’accepter parmi les leurs. Elle se décida à mettre le nez dehors et de surcroît dans le capot de son véhicule histoire d’attirer quelques docteurs bricolus pour repartir le lendemain à l’aube et sans nouvelle escale directos Saint Saturnin les Bains. Cela ne loupa pas, elle eut à peine le temps de se foutre du cambouis sur la tronche et faire semblant de s’affairer que quelques cloportes rappliquèrent.
- Un ch’ti problème ma p’tite dame ? s’enquit le plus hardi des cloportes.
- Oh trois fois rien, mon brave, juste la vieille mécanique qui a un peut trop souffert et qui vient de rendre l’âme répondit d’un air très assuré belle maman qui avait poussé le réalisme jusqu’à se planter un cure dents dans le bec.
- Ah laissez-moi jeter un œil, en trois coup de cuillère à pot je lui aurais fait cracher son venin à cette vieille coque de noix assura le hardi qui les mains accrochés à sa ceinture dans le dos, laissait apparaître un tee shirt au motif inconnu constellé de tâches de bouffe et de boissons diverses et surtout d’un magnifique bide d’alcoolo qui dépassait d’un bon trente centimètres.
- J’y suis presque répondit belle maman en faisant de larges mouvements avec son derche histoire de faire paraître son string et d’exciter les mouches.
Elle fit tomber son outil en poussant un juron. Jamais elle n’y parviendrait. Elle poussa un gémissement de désespoir alors qu’une larme coulait sur sa joue.
Notre cloporte se jeta au sol pour récupérer l’outil et prit les affaires en mains.
- Ne vous inquiétez pas ma p’tite dame, je vais vous réparer tout ce fourbis alors que vous n’aurez même pas terminé de vous remaquiller.
Au fil des minutes, des pièces de moteur s’entassèrent au sol. Il oeuvrait comme un pro, belle maman gardait tout espoir de repartir le lendemain. D’autres gus vinrent lui prêter main forte pour enlever le moteur. Des bruits de ferraille couvrirent les conversations et plusieurs types s’affairaient pour affirmer la supériorité de l’homme sur la mécanique. Belle maman se demanda comment ces connards arriveraient à remonter tout ce bazar, en plus pour aider l’inspiration ils ne picolaient même pas.
Un claquement magique se fit entendre, il s’agissait de la fermeture du capot. Il restait cependant quelques morceaux de ferraille au sol mais le rustaud avait l’air de dire qu’ils ne servaient à rien.
Il grimpa dans le camion et actionna le démarreur. Les visages angoissés le fixaient et personne n’osait plus prononcer le moindre mot. Le moteur fit un bruit de raclements et une épaisse fumée noire sortit du pot. Le routier gardait son air assuré et força encore plus le démarreur. L’avant du camion décolla d’une vingtaine de centimètres et une fumée intense incommoda les spectateurs du premier rang. Le bruit magique du moteur qui démarre se fit entendre alors que le spécialiste se leva sur l’accélérateur pour éviter tout arrêt fatidique. Françouais à l’arrière était secoué comme un prunier et entre deux tremblements liés au manque d’alcool, se demandait ou il pouvait bien se trouver pour être violenté de la sorte.
Par on ne sait quel miracle, le moulin tournait à merveille et le chauffeur paraissait enfin satisfait. Tout le monde se mit à applaudir alors qu’il descendait du tas de boue en héros.
- Voilà, vous le laissez tourner une bonne dizaine de minutes puis ensuite il pourra vous amener au bout du monde dit-il très supérieurement.
- Oh comment puis-je vous remercier, jamais je n’y serais arrivé toute seule.
- C’est tout simple, joignez vous à nous car ce soir c’est fête, nous allons manger le cochon.
- Extrêmement volontiers, mais que fêtez-vous donc ?
- Voici un an, qu’aucun de tous ces routiers endurcis que vous pouvez voir, ne c’est fait contrôler positif au contrôle d’alcoolémie.
- Ah vous faites partie de la ligue des routiers anti-alcooliques ? demanda t-elle quelque peu déçue.
- Meuh non, ma p’tite dame, je dirais que nous picolons d’ailleurs plus que la moyenne mais le principe de notre confrérie est de rouler le plus chargé en alcool possible sans se faire gauler. En moyenne on se fait les trajets à 2 grammes d’alcool dans le sang.
Belle maman sentit sa petite culotte se mouiller, elle était tombée sur une confrérie de vrais déménageurs. C’était inespéré car on en faisait plus des comme cela depuis un bon demi siècle. Elle salua le groupe qui préparait avec des palettes un grand feu sur le bitume. Elle nota un regard noir, il s’agissait de la seule femme de la confrérie qui la regardait de la sorte, elle comprendrait pourquoi quelques heures après.
Une odeur de pastaga se fit très insistante puis les godets circulèrent jusqu’à ce que tout le monde soit équipé. Le héros de la clé à molette grimpa sur une petite caisse de bois et entama un discours. Les quelques rapeurs de la confrérie avaient même arrêtés leurs bousins à décibels pour s’imbiber du discours du patriarche.
- Mes amis, je tenais à ce que nous soyons réunis pour fêter cet évènement : un an sans un seul retrait de permis. Soyez heureux, c’est du jamais vu, nos ancêtres seraient fiers de vous. Tout ceci, je le dois à votre bonne volonté, votre extrême implication dans ce refus de perdre notre identité et nos coutumes. Un an sans vous faire gauler, c’est extraordinaire. Je tiens dès aujourd’hui et pour vous motiver pour la suite à vous dire que pour les deux ans nous fêterons cela en faisant une course poursuite sur l’autoroute entre Paris et Marseille et que le gagnant recevra une remorque complète de boutanches de pastaga.
La foule en délire hurla et tendit vers le harangueur les godets.
- Allumez donc le feu pour que nous fassions rôtir le cochon et fêtons dignement notre premier anniversaire. Je vous demanderais une petite pensée pour nos héros emprisonnés ou ne se déplaçant qu’en voiturette électrique depuis un retrait quelconque. Une pensée aussi à nos héros morts en service commandé et pour passer du coq à l’âne, bienvenue à notre nouveau membre qui possède sans aucun doute le camion et l’haleine la plus pourrie de nous tous. Santé.
Tout le monde hurla de joie puis se rinça le gosier. Les flammes de plusieurs mètres s’élevèrent, le ton de l’ambiance était donné, la soirée serait très chaude. Belle maman souriait toute dent cariée apparente et les individus se pressaient pour venir trinquer la nouvelle et surtout vérifier si elle était mettable entre deux pleins dans les chiottes d’une aire de repos abandonnée. Belle maman embrassait à tout va et essayait de se placer auprès des plus musclés et tatoués. Elle se jura de se faire tringler cette nuit par quatre de ces nouveaux confrères.
Comme lors d’une fête Saint Saturnoise, le pastaga coulait à flots et les esprits s’échauffaient. Les enragés du barbecue commencèrent à placer des grilles de ventilateur de camion sur les flammes pour y balancer les premiers morceaux de barbaque à faire griller.
- Tu as intérêt à te tenir à carreau, je t’ai à l’œil et ne te louperais pas vociféra la dame aux yeux noirs sans même desserrer les mâchoires.
- Je ne voulais que te saluer et non te provoquer pour je ne sais quelle raison répondit belle maman surprise par autant d’agressivité.
- Je suis sûre que tu vois bien de quoi je veux parler, ne me prend pas pour une bille. Maintenant que ton bahut est remit sur patte, tu aurais fortement intérêt à reprendre ton chemin et ne jamais remettre les pieds par ici.
- Comme convenu, je repartirais demain, je ne vais pas vous quitter alors que la fête vient à peine de commencer. De plus je pourrais vous dénoncer au premier poste rencontré.
Belle maman venait là de marquer un point, elle devait donc rester avec les autres pingouins jusqu’au lendemain, les routiers ne pourraient pas courir le risque de se faire pincer à cause d’une inconnue à la langue trop longue. De plus ils finiraient par savoir que l’incident initial remonterait jusqu’à elle ce qui l’a grillerait pour le restant de ses jours auprès de cette charmante confrérie. De rage œil noir tapa du pied dans une pierre qui s’engouffra entre deux mille pattes et assomma un routier qui dégorgeait peinard le poireau parce qu’il avait commencé avant tout le monde l’exercice de l’apéro.
Alors que le pauvre bougre, un œuf sur la tête s’écroulait à peine bourré, les deux femmes se déchirèrent du regard, s’enfilèrent leurs godets et se séparèrent pour en prendre un deuxième.
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